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Rugby : On a retrouvé... la Garuche, l’ex-terreur des mêlées.
Le Monde, Adrien Pécout (Pontacq, envoyé spécial).
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On a retrouvé Jean-Pierre Garuet et, à peine avions-nous garé la voiture devant son exploitation agricole que l’ancien pilier du XV de France a abordé de lui-même le « fameux événement du 21 janvier [19]84 ». Lointaine époque que celle où les matchs de rugby pouvaient se raconter en onomatopées et avoinées, façon bande dessinée. Cet après-midi, la scène se passe à Paris, sur la pelouse du Parc des Princes.
Légère incompréhension entre Français et Irlandais : « Et là, pim, ça croise les gants à cinq contre cinq, les marrons partent ! Bim, bam, on veut me décaniller, et moi, je ne tends pas l’autre joue. Puis [John] O’Driscoll perd sa lentille, la cherche par terre, et tout le monde l’interprète en disant : “Garuet a fait une fourchette”[comprendre, il a enfoncé ses doigts dans les yeux de l’adversaire]… » Il faut un coupable. L’arbitre du match, un Gallois, désigne le moustachu. Terrible façon d’entrer dans l’Histoire : pour son premier match dans la compétition, le pilier droit devient le premier Français expulsé d’un match du Tournoi des cinq nations.
La décision lui tombe dessus comme un mauvais plaquage. Protecteur, le président de la Fédération française de rugby le prend en aparté. « Le soir du banquet, je le revois encore avec son gros cigare. » Dialogue restitué avec des « r » qui roulent en cascade pour imiter la voix de « Tonton » Ferrasse, l’Agenais : « Oh Garuche, alors, tu as fait le con. – Oui, j’ai chargé… – Vis-à-vis des British, pour le banquet, je vais te flageller avec du bois vert. Mais te formalise pas, tu seras des nôtres pour la tournée en Nouvelle-Zélande. »
Ferrasse tient parole. Il traite publiquement Garuet d’« imbécile », mais le joueur, sanctionné trois mois, peut partir avec ses petits camarades l’été suivant. « Il n’y avait pas encore de Coupe du monde, alors, pour un joueur, quand tu avais fait le Tournoi et une tournée en Nouvelle-Zélande, tu pouvais mourir après. »
La moustache toujours frétillante, Jean-Pierre Garuet est bien là aujourd’hui, à Pontacq, dans la maison familiale. Loin de ses Pyrénées-Atlantiques et de leurs pics enneigés, il assistera même au match des Bleus contre l’Angleterre, samedi 19 mars, dans les tribunesdu Stade de France. Comme chaque fois, la société Orange rémunère l’ancien agriculteur pour qu’il prenne place aux côtés de clients. Plutôt plaisant, selon l’intéressé, visiblement las de la castagne : « Le rugby a évolué dans le bon sens, je dirais. Dans le rugby actuel, tu n’as plus ces règlements de comptes. Maintenant, il y a trois mandales, mon pauvre, tout le monde crie au scandale, tout le monde porte plainte. Moi, j’ai vraiment été issu d’un rugby où les coups, tu te les avalais. Et si tu me loupais, je n’allais pas te louper. »
Déjà, en son temps, « la Garuche » avait commencé à s’adapter, « vacciné »depuis son expulsion. Au lieu de faire le coup de poing, le pilier, devenu une référence internationale, avait appris à agir en sous-main : « Quand je me suis retrouvé dehors, j’ai compris qu’il y avait des choses que tu pouvais faire dans le championnat français mais pas au Tournoi. Là, on y est comme invité. Alors, il suffit de rester dans de l’agressivité contenue. Dans les règles de l’art. J’ai beaucoup appris dans le comportement des Britanniques. Ton adversaire te marche dessus, il t’a presque crevé l’œil, puis il te dit : “Oh sorry, pardon !” »
« Face aux Anglais, c'est le défi »
Garuet, âme magnanime, a sans doute reçu autant de coups qu’il en a distribué. Toujours dans le respect d’autrui, même de l’adversaire anglais : « Je les aime bien, ce sont des gens que je respecte beaucoup. Face aux Anglais, c’est le défi. Si tu as un genou à terre, ne tombe pas l’autre, sinon, aïe, aïe, aïe, ils te renversent, ils te broient. Ce sont des guerriers. Tous les Britanniques, tu dois te les fader. Pour eux, des matchs amicaux, il n’y en a pas. Quand tu entres sur un terrain, c’est comme si tu entrais à l’église. Alors que nous, on est des Latins, on est un peu poètes… Un match oui, un match non. »
Oui, poète. Dans son goût du récit, ses virgules chantantes, ses imitations. Ses récitations, aussi. Surprenante vision que cette ancienne terreur des mêlées qui se dresse pour vous déclamer un quatrain de Verlaine ou, d’une traite, les six premiers vers ronsardiens de Mignonne, allons voir si la rose.« J’ai été à l’école, quand même. Et ça me vient comme ça, pas besoin d’attendre le ixième verre de whisky ! »
« Le Professeur » en est seulement au café lorsqu’il raconte l’origine de ce second surnom. En réalité, rien à voir avec les récitations, mais plutôt avec l’art subtil des mêlées. Un domaine qu’il a théorisé, sublimé, incarné au point d’avoir fait voler en éclats un Irlandais, ce fameux 21 janvier 1984, quelques secondes avant son expulsion. « Je ne fais pas 150 kilos, mais par contre j’ai beaucoup pensé, beaucoup travaillé. Le cinéma, on ne peut pas me le faire. » Joignant le geste à la parole, et tapotant sur la nuque de son interlocuteur : « Par exemple, si je mets ma main là, là ou là, ce sera différent. Pour être pilier, je dis souvent qu’il te faut de la jugeote, un peu de matière grise. » Et, accessoirement, un cou en acier trempé pour résister aux ruades…
Ses premières années de rugby, le petit Garuet les passe en troisième-ligne, « le plus beau poste du monde ». Mais on lui fait comprendre que sa taille posera problème s’il veut s’imposer dans la grande équipe de Lourdes, restée, aujourd’hui encore, le 5e club le plus titré de France. C’est décidé, à l’âge de « 20, 21 ans », le gamin de Pontacq se reconvertit pilier.
Pour « se tanner » la peau, rien de tel que le grand air et que cette exploitation agricole où la famille cultivait le grain, le maïs : « Je manipulais des sacs d’engrais, j’avais les reins un petit peu gaillards. » Parce que le rugby n’était pas encore devenu un métier, Garuet prend ensuite à son compte un commerce de pommes de terre dans la cité mariale : « Le dimanche après-midi, je pouvais aller jouerjusqu’au Creusot avec Lourdes, mais, le lendemain matin, à 6 heures et demie, j’étais aux halles, je n’ai pas manqué un marché. »
Et, au besoin, le vice-champion du monde 1987 a tous les « outils » nécessaires dans l’entrepôt familial. « Aujourd’hui, les crampons sont ronds, cylindriques. Avant, ils étaient coniques, et si tu étais un peu de la campagne, pour les aiguiser, tu avais la râpe pour la corne des chevaux… » Autre exemple, en haut d’une échelle : un atelier de musculation aménagé dans le hangar dans un coin surélevé, au-dessus des tracteurs qui servaient à la famille pour cultiver les champs attenants au domaine. « A l’armée, pendant mon service militaire, j’avais rencontré un sous-officier qui tenait une salle de musculation. J’avais commencé à ce moment-là à faire du renforcement, alors je me suis construit cette barre de muscu avec des fonds de bidon. »
Souvenirs d’un passionné, encore et toujours « marié avec le rugby », à 60 ans passés. Sans enfants, mais avec des amis, fidèles comme les joueurs d’un même pack. Cet après-midi, en voilà deux. Du rosé de Rivesaltes, des tranches de saucisson, quelques noix à se mettre sous la dent, et ils sont partis pour refaire l’Ovalie. Qui sait, peut-être Garuet a-t-il déjà brûlé un cierge à Lourdes pour son ancien club de rugby, aujourd’hui condamné au purgatoire de la quatrième division française ?
D’« éducation chrétienne », l’homme penche à droite, sur un terrain comme enpolitique. Dans son intérieur, une statue de la Vierge et une photo de lui avec lepape Jean Paul II, rencontré en 2004. L’ancien rugbyman était alors maire adjoint de Lourdes, sa ville natale, à une douzaine de kilomètres de Pontacq. « [Philippe]Douste-Blazy, qui est de la même année que moi, me l’avait demandé », soupire Garuet, qui a tout de même occupé la fonction jusqu’aux municipales d’il y a deux ans. L’histoire ne dit pas si le souverain pontife, plutôt porté sur le football, avait suivi son chemin de croix puis sa résurrection sur les terrains de rugby.
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