10/01/2012
Aleister Crowley - Fragments Sataniques
Fragments Sataniques
( Attribués de manière posthume à Aleister Crowley )
9° - Le Mage Noir.
Le mage noir était revêtu de ses habits sacerdotaux les plus imposants ( c'était un ancien prêtre ), mais les croix y figurant avaient cette particularité que chacune de leurs branches était divisée en deux parties, de sorte que chaque croix possédait à la base quatre Y. Il se tenait devant l'autel en ruines d'une chapelle abandonnée, un endroit depuis longtemps investi par les hiboux et les chauve-souris. Il restait suffisamment de toiture pour occasionnellement abriter des clochards ou des bohémiens, mais il ne restait plus une seule porte, plus une seule fenêtre.
A ses côtés se tenait l'atroce femme qui l'inspirait, également vêtue en prêtre, mais dont les habits étaient portés de manière indécente. Il y avait deux luminaires sur l'autel, des cierges de cire noire, tous deux disposés au nord de ce qui tenait lieu de crucifix. Il s'agissait d'un crapaud crucifié vivant à une croix écarlate. Le tout était enroulé dans un lambeau de tissu, arraché à une chemise de leur future victime par une blanchisseuse corrompue. En guise d'encens, du soufre se consumait sur les charbons.
Les étoiles observaient la profanation au travers du toit éclaté. La voix de l'opérateur était la seule vibration dans cette atmosphère paisible. Il commença à dire la Messe, mais en renversant l'ordre des mots à chaque phrase Son débit lancinant, insolite et nasal, passait par des hausses et des baisses de ton se succédant de manière désagréable et inharmonieuse. Lorsque vint le moment de faire le signe de croix, il cracha sur le sol et signa ce crachat à l'aide de son pied gauche. Il remplaçait systématiquement les noms divins par un sifflement bizarroïde. L'hostie était triangulaire, composée de farine d'avoine azyme et de sang. Pour calice, il employait un récipient consacré à toute bassesse et toute impureté ; et l'étoffe le recouvrant était une serviette de table trempée dans le sang. Au lieu de vin, il contenait de l'eau provenant d'un puits dans lequel on avait jeté le corps d'un enfant mort-né.
Comme l'odieux rite se poursuivait, le sorcier devint conscient qu'il était en grand manque d'assurance. Ses genoux se dérobaient sous lui et à nouveau il regarda aux alentours comme pour apercevoir quelque présence par lui ressentie. Non : il n'y avait personne ici à Î'exception de son clerc, dont la chevelure rouge feu brillait telle un incendie au milieu de la nuit, dont les boucles surgissaient comme des serpents hors de la barrette, et dont les verts yeux de tigresse étaient enflammés par un émoi intense. Aucun d'eux ne remarqua que les étoiles avaient cessé de luire au-dessus de la chapelle ; aucun d'eux ne réalisa que l'atmosphère était soudainement devenue chaude et étouffante.
Il est impossible de narrer les détails de la consécration finale des éléments maudits, de dire quelles profanations et malédictions accompagnèrent la fin de la Messe, ou quelles furent les atroces gestuelles auxquelles s'abandonnèrent les apostats durant l'adoration. Mais il faut par contre dire qu'avec l'eau consacrée le prêtre baptisa le crapaud du nom de leur victime ( que je symboliserai ici par la lettre x ) - disant « De même que cette créature des crapauds va dépérir et décéder sur cette croix, ainsi en sera-t-il de x ».
L'imposante horloge de la cathédrale toute proche annonça minuit : la cérémonie s'acheva. L'hystérie des abominables officiants s'apaisa. Soudain, la femme tira l'ancien prêtre par le bras. « Regarde », s'écria-t-elle.
L'ex-ecclésiastique revint à lui. Toute la chapelle était embrasée de sphères de flammes, et l'orage en ébranlait les murs de sa rage tournoyante. Une poutre pourrie céda, désertant le toit, et vint s'abattre à terre. « Eloignons-nous d'ici. » Conseilla l'ancien prêtre qui demeurait de marbre. « Le danger est là », ajouta-t-il. Mais à ce moment précis l'orage s'apaisa ; l'électricité de l'air se libéra dans la terre ; les étoiles purent à nouveau briller.
Ceci dit, l'horreur de la véritable solitude enveloppait les officiants présents dans la chapelle. Depuis le sanctuaire étaient-ils revenus au monde ; mais désormais ils n'appartenaient plus à celui-ci. Ils s'étaient irrémédiablement coupés de leurs semblables. Et puis l’accomplissement fondit sur eux au même instant ; ils en demeurèrent pantois quelque temps. Puis, la passion de la femme transforma cette solitude en exaltation ; elle s'agrippa sauvagement à son complice et leurs lèvres se scellèrent comme pour témoigner de leur abandon solennel à, et de leur acceptation de, leur ineffable et consternant destin.
( Texte anglais : © O.T.O. / Traduction française © Philippe Pissier, 1996 )…
( http://www.magick-instinct.org/Crowley/fragmentssataniques.html )
( Ce texte fut publié aux éditions HRILIU en avril 1996 ).
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Note : « Les fragments sataniques » furent recopiés par Cosmo Trelawny à partir d'une masse de papiers et tapuscrits de Crowley laissée dans ses appartements par Macgregor Reid. Les originaux furent ensuite vendus à un libraire, et perdus lorsque sa boutique fut bombardée durant la guerre.
22:36 Publié dans Esotérisme/occultisme, Primis Tenebris | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : aleister crowley, fragments sataniques, philippe pissier